Point de vue – Sébastien Treyer

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Le point de vue

Dans la perception par les Français des différentes menaces qui pèsent sur la société, la dégradation de l’environnement constitue depuis des décennies un élément de moins en moins secondaire. La prise de conscience toujours plus forte de l’importance de ces enjeux environnementaux comme un risque majeur pour notre bien être individuel et collectif est une tendance de fond. Le changement climatique est tout à fait emblématique de l’effet que peut avoir la dégradation des cycles de notre écosystème planétaire sur nos sociétés et nos économies : augmentation de la force et de la fréquence des événements extrêmes comme les tempêtes ou les sécheresses, augmentation du niveau des mers, etc.

Dans les séries pluriannuelles du Baromètre IRSN, l’année 2019 semble constituer un moment charnière, le changement climatique devenant la deuxième préoccupation des Françaises et des Français, juste derrière l’exclusion et avant le terrorisme. Si un seuil est bien franchi, Il convient de modérer le caractère frappant de cette évolution. Certes, le changement climatique semble bondir d’un score inférieur à 10 % tout au long de la décennie précédente pour atteindre d’un coup 17 % et cette deuxième position en 2019. Mais si on cumule les pourcentages atteints par le changement climatique et la dégradation de l’environnement les années précédentes, ils atteignaient déjà un score total proche de 20 %. Et bien sûr, l’actualité, ainsi que la construction des questions dans l’agenda médiatique, expliquent aussi beaucoup ces variations d’une année sur l’autre, comme on le voit juste après 2015 pour le terrorisme ou juste avant 2002 pour l’insécurité.

Que nous dit réellement cette 2ème place pour le changement climatique ? On peut en particulier y voir le reflet de l’efficacité conjointe de la mobilisation de la science et des mouvements sociaux tout au long de l’année 2019. Le GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) a en effet publié une série de rapports majeurs entre septembre 2018 et septembre 2019 (scénarios pour rester sous 1,5°C d’augmentation de la température moyenne mondiale en 2100, rapport sur l’océan et la cryosphère, rapport sur les terres et leur utilisation), dont l’impact médiatique et dans l’opinion publique semble avoir été majeur. Ces rapports ont notamment conduit à l’onde de choc de la mobilisation des jeunes générations (grèves, manifestations, manifestes étudiants…). Elles ont en particulier été incarnées par Greta Thunberg, qui dans son discours souligne à quel point elle n’invente rien et ne fait que prendre au sérieux les conséquences de ce que la science nous dit depuis longtemps.

Cette prise de conscience sur le changement climatique s’accompagne aussi d’une forte montée des enjeux de biodiversité (la question de la disparition des espèces, en particulier, est en forte augmentation parmi les préoccupations environnementales dans ce baromètre) : les rapports de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale d’experts sur la biodiversité et les services écosystémiques), tout comme ceux du GIEC, ont fortement mobilisé l’opinion, notamment sur la disparition des pollinisateurs, et ont inspiré le mouvement de désobéissance civile Extinction Rebellion, autre irruption remarquée dans l’espace public.

Alliance objective entre science et mouvements sociaux, au moment même où réseaux sociaux et manipulations de l’information semblent rendre impossible la mobilisation politique ? 60 % des personnes interrogées par ce Baromètre IRSN déclarent s’intéresser aux revues scientifiques. Ce poids confirmé de la science est un autre fait marquant dans l’espace politique.

 

L’auteur

Sébastien TREYER est directeur général de l’IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales). Ancien élève de l’École Polytechnique, il est ingénieur en chef des ponts, des eaux et des forêts et docteur en gestion de l’environnement. Il est spécialiste de la prospective au service des politiques publiques et des négociations internationales sur le développement durable.