Point de vue – Karine WEISS

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Accepter ou non de vivre près d’une installation ou d’une zone à risque ? La question est systématiquement posée dans le Baromètre de l’IRSN. Elle met en évidence l’importance de la relation aux lieux de vie, aux institutions en charge de la sécurité des biens et des personnes, et de la responsabilité individuelle face aux risques.

 

Les résultats du Baromètre montrent que le rejet concerne aussi bien les risques (zone inondable, ou pollution relative à la proximité évoquée de sites de stockages de déchets), que les gênes associées aux impacts environnementaux (gênes sonores et/ou visuelles dans le cas des aéroports ou de parcs éoliens). En outre, les résultats évoluent sensiblement en fonction des controverses médiatiques autour de certaines installations. C’est le cas des parcs éoliens, autour desquels les polémiques ont été alimentées cette année par de nombreux acteurs du monde politique et économique, et dont l’acceptabilité a perdu 10 points en un an (la question « accepteriez-vous de vivre près d’un parc éolien ? » a obtenu 31 % de réponses « oui » en 2021, contre 41 % en 2020). Aussi, cette question reflète la complexité de l’appréhension des risques, qui va bien au-delà du danger perçu et de la vulnérabilité des populations. L’acceptabilité a longtemps été envisagée sous l’angle du phénomène NIMBY (Not In My Back Yard, ou « pas dans mon arrière-cour »), renvoyant à l’idée que, malgré la nécessité sociale ou environnementale des installations, des motivations individualistes pouvaient entraîner leur rejet dans la proximité immédiate des lieux de résidence. La perspective NIMBY s’accompagne généralement, de la part des décideurs et des analystes, d’une évaluation négative des points de vue des résidents, considérés comme irrationnels, empreints d’émotivité et d’ignorance. Or, la recherche en psychologie environnementale a remis en cause cette perspective, en montrant que, au-delà des risques et gênes occasionnés par les infrastructures, leur faible acceptation peut s’expliquer par d’autres facteurs. Parmi ceux-ci, l’attachement des personnes à leur lieu de vie, incluant l’importance que ce lieu revêt aussi bien par sa qualité paysagère que par les liens (affectifs et identitaires) créés avec ce lieu, constitue une explication potentielle du rejet d’une installation. Au-delà de ce lien, un manque de confiance dans les prises de décisions relatives à la mise en sécurité des populations constitue un point
d’ancrage du rejet des installations. On peut retrouver ce manque de confiance dans la gestion de la plupart des risques collectifs (cf. question 4 de la partie 3). Enfin, ce manque de confiance est sou vent associé à un sentiment d’injustice, d’une part parce que les communautés concernées ne sont pas impliquées, associées, ni même consultées lors des prises de décisions relatives à leurs lieux de vie, et d’autre part parce qu’elles ne bénéficient généralement pas (ou du moins pas directement) des avantages de ces installations. Il en découle la perception, par ces populations, d’un manque de reconnaissance de l’impact des installations sur leurs conditions de vie ; impacts aussi bien psychologiques (en termes de stress, par exemple), que liés à la dégradation de leur environne ment proche. Il convient donc de mieux s’emparer de cette question de l’acceptabilité pour mieux saisir les enjeux des situations à risques pour l’ensemble des acteurs, incluant en premier lieu les populations concernées : leurs réticences reflètent de réelles préoccupations autour d’un refus des risques de plus en plus important et de l’exigence d’un niveau de sécurité en constante augmentation. Or, lorsque les sciences humaines et sociales sont sol licitées pour travailler sur l’acceptabilité, c’est le plus souvent pour apporter une aide aux décideurs afin de faire admettre et de développer des infrastructures dangereuses, polluantes, inesthétiques, ou encore pour permettre l’installation de populations dans des zones à risques ; autrement dit, pour contourner les potentielles réticences. Cette approche pose évidemment des questions d’ordre déontologique quant à nos interventions de terrain.

L’auteur

Karine Weiss est professeure à l’université de Nîmes et chercheuse en psychologie sociale et environnementale. Ses recherches portent sur les attitudes et comportements face aux problématiques environnementales, en particulier dans le cadre des risques majeurs (inondations, séismes…) et émergents (changement climatique, pesticides, pollutions des sols et de l’eau…).