Point de vue – Julien POTEREAU

Print Friendly, PDF & Email

Parmi les nombreuses questions que soulève la pandémie de Covid-19, se pose celle de son impact sur la perception des Français à l’égard de la science et des experts. Réalisée dans ce contexte particulier, qui a placé le monde scientifique sous le feu des projecteurs, la vague 2020 du Baromètre IRSN confirme que les Français en conservent majoritairement une image positive. Mais, plus précisément, on peut se demander dans quelle mesure la période exceptionnelle que nous vivons depuis mars 2020 a modifié les attentes des Français concernant la place des scientifiques dans le débat public et la prise de décision politique. Or, à la lumière de ce Baromètre et d’autres études récentes, il semble bien que l’on assiste à un double mouvement de clarification de ce rôle.

 

D’un côté, la période a clairement mis en évidence les attentes des Français vis-à-vis des experts scientifiques pour diffuser toutes les informations utiles auprès d’un large public et éclairer la prise de décision. Comme le montre le Baromètre IRSN, 82 % d’entre eux considèrent que la création du conseil scientifique a été une bonne chose. Plus précisément, une étude Harris Interactive / Pergamon réalisée en mars 2021 révèle que, selon eux, le fait que des scientifiques s’impliquent publiquement dans la gestion de la crise sanitaire a été utile pour permettre au gouvernement de prendre les bonnes décisions (75 %), mais également pour aider les Français à accepter ces dernières (76 %) et plus généralement à mieux comprendre la situation (79 %). De fait, 45 % des Français estiment qu’au cours de cette période de crise sanitaire les chercheurs scientifiques n’ont pas été assez écoutés par les responsables politiques, un score en hausse de 4 points par rapport à juin 2020 (étude Harris Interactive / Philip Morris), contre seulement 21 % qui considèrent qu’ils ont été trop écoutés et 34 % ni trop ni pas assez. Les incertitudes multiples liées à l’épidémie et son évolution ont donc suscité l’attente d’une implication toujours plus forte du monde scientifique pour éclairer le débat public.

Cela va-t-il jusqu’à déboucher sur une attente d’influence plus marquée des experts sur la prise de décision politique ? La question a pu se poser, notamment concernant la façon dont les recommandations très attendues du conseil scientifique devaient être reçues par le Gouvernement : un élément d’information parmi d’autres ou bien une feuille de route plus ou moins impérative ? Mais les Français ne vont pas jusque-là. Dans l’étude Harris Interactive / Pergamon réalisée en mars, ils indiquent majoritairement que les responsables politiques doivent s’inspirer des recommandations des scientifiques mais prendre des mesures qu’ils choisissent eux-mêmes (70 %), plutôt que les suivre à la lettre, ce dernier choix étant privilégié par seulement 27 % d’entre eux. Une prise de position qui n’avait rien d’évident dans « le monde d’avant » : dans une précédente étude Harris Interactive / Pergamon de novembre 2019, les Français se montraient nettement plus partagés sur la place que les responsables politiques devaient accorder aux recommandations des scientifiques, que ce soit sur le sujet du réchauffement climatique ou sur celui des enjeux de santé.

La séquence Covid-19 que nous vivons depuis plus d’un an aura donc permis de clarifier la façon dont les Français se représentent idéalement le rôle des scientifiques dans le circuit décisionnel. Une attente en forme de paradoxe : il s’agit à la fois de leur donner une place plus centrale au sein d’un débat public en fort besoin d’expertise, mais en même temps de les cantonner à ce rôle d’éclairage de la décision, celle-ci ne pouvant émaner en dernier ressort que des responsables politiques qui doivent assumer leurs choix, que ceux-ci aillent ou non dans le sens recommandé par les experts. Le rappel de cette nécessaire séparation des rôles entre le savant et le politique n’aura pas été l’une des moindres vertus de cette crise.

 

L’auteur

Julien Potéreau est directeur d’études au sein du département Politique et Opinion chez Harris Interactive. Il travaille plus particulièrement sur les sujets relatifs aux enjeux de société (actualité, santé publique, environnement…).