« La défiance peut être liée à certaines applications de la science, à certains domaines technoscientifiques, mais elle n’est jamais liée à la capacité des scientifiques à produire des connaissances. »
Pierre-Benoît Joly pour le Baromètre IRSN 2017
Chaque année, je suis avec intérêt la publication du Baromètre IRSN. La lecture des analyses proposées dans la deuxième partie de l’édition 2017 appelle essentiellement trois remarques de ma part.
Tout d’abord, je porte sur l’affirmation selon laquelle « la confiance dans la science reste élevée mais se dégrade » une appréciation différente de celle de l’Institut. Si je me base sur les réponses apportées à la question n° 1 intitulée « Faites-vous plus ou moins confiance à la science qu’il y a une dizaine d’années ? », environ 85 % des personnes interrogées ont répondu « autant », « plus » ou « beaucoup plus », ce qui est considérable. En outre, je n’ai pas constaté de différence significative sur les 20 dernières années. À cet égard, il me semble qu’une comparaison de cette évolution à celle d’autres institutions comme les politiques, les entreprises ou les médias ferait certainement apparaître le caractère assez remarquable du maintien de la confiance dans la science, tandis que celle-ci s’érode – voire s’effondre – dans les autres domaines.
Ma deuxième observation porte sur l’interprétation de la notion de « confiance dans la science ». S’agit-il de confiance dans les scientifiques en général ou dans leur capacité à remplir certaines fonctions : produire des connaissances, éclairer les poli- tiques, proposer des solutions techniques pour construire le monde de demain, etc. ? Les données disponibles montrent que de la défiance peut être liée à certaines applications de la science, à certains domaines technoscientifiques, comme les OGM, ou au rôle des chercheurs dans l’expertise, par exemple sur les questions de santé. Mais elle n’est jamais liée à leur capacité à produire des connaissances. On voit bien là que, comme le suggère la philosophe britannique Onora O’Neill, la confiance est différenciée.
Ma troisième remarque porte sur ce qui fait qu’un scientifique est ou non digne de confiance. Le Baromètre suggère que le métier exercé par un scientifique est censé l’inciter à dire la vérité, quelle qu’elle soit. Il me semble que, dans le domaine scientifique, on ne peut parler de « vérité » mais plutôt de connaissances fondées sur des systèmes de preuves reconnus. Or, selon les disciplines, ces systèmes sont de natures différentes – approche statistique, expérimentation (in vivo ou in vitro), simulation numérique… Un même objet peut ainsi se prêter à différents modes d’objectivation, plusieurs « vérités », si l’on veut. Il ne s’agit pas pour autant d’une position relativiste, mais d’une position qui tient compte de la difficulté à appréhender des situations très complexes.
C’est précisément cette difficulté qu’il est important de ne pas occulter, mais expliquer, car elle est en lien direct avec les qualités de compétence, de fiabilité et d’honnêteté attendues de la part des scientifiques, notamment ceux chargés de travaux d’expertise. L’année 2016 étant aussi celle où le dictionnaire d’Oxford a choisi « post-truth » comme le mot de l’année, ce type de précision s’impose !
À propos de l’auteur
Pierre-Benoit Joly est directeur de recherche à l’INRA, directeur du Laboratoire interdisciplinaire sciences innovations sociétés (Lisis) et membre de l’Institut francilien recherche innovation société (Ifris). Il enseigne notamment à l’École des hautes études en sciences sociales et à l’université Paris- Est-Marne-la-Vallée. Spécialiste d’économie et de sociologie de l’innovation, il analyse les transformations de l’espace public de la science et les nouveaux modes de gouvernance de l’innovation et des risques. Pierre-Benoît Joly est membre de plusieurs groupes d’experts français et européens dédiés au rôle de la science dans la société et auteur de nombreux ouvrages et articles scientifiques.