Les risques de rayonnement et leur perception.
Radiation Risk and Features of Its Perception
Par Panteleev, V., Segal’, M. Simonov, A & co.
Publié dans Atomic Energy, 2019, Vol.125(4), pp.265-268
Des chercheurs de l’Institut de Sûreté Nucléaire de l’Académie des Sciences russe (IBRAE RAS) se sont penchés sur la perception du risque nucléaire par le grand public, en se basant sur des études sociologiques réalisées dans 42 pays. A la suite de l’accident de Fukushima, le nombre de personnes en faveur de l’énergie nucléaire a fortement décru (une diminution moyenne de 7 points, passant de 52% d’adhésions avant l’accident japonais à 45% ensuite). Cette décroissance est beaucoup plus exacerbée chez les Japonais, passant de 63% d’adhésion à 40%. Il est observé par les auteurs que la perception du public influence fortement les décisions politiques prises dans certains pays comme l’Allemagne, la Belgique ou l’Espagne qui ont décidé de réduire la part du nucléaire dans leur mix énergétique après l’accident japonais. D’autres pays tels que la Russie, la France, la Chine ou encore les Etats-Unis ont quant à eux choisi le parti de poursuivre le développement de l’énergie nucléaire mais en l’accompagnant de critères de sûreté beaucoup plus sévères. La confiance du public s’avère être un critère de première importance pour l’avenir de l’énergie nucléaire et cette confiance ne sera accordée qu’à la condition d’un niveau de sûreté maximal et de l’efficacité des interactions décideurs/ public.
Les auteurs observent un véritable fossé entre l’évaluation des risques radiologiques faite par les experts et par les « non spécialistes » ; les « profanes » amplifiant largement le risque nucléaire par rapport à la probabilité même de survenue de ce risque. Même si le risque individuel vis-à-vis d’une installation nucléaire est statistiquement très faible, le niveau du risque socialement acceptable l’est encore davantage. Les auteurs se penchent sur le concept d’amplification sociale du risque dû, dans le cas de l’accident de Fukushima, au traitement médiatique qui en a été fait. D’une part, les médias locaux et internationaux se sont focalisés sur la dangerosité extrême de l’énergie nucléaire alors que cette catastrophe s’est produite en marge d’une autre, naturelle cette fois, un tsunami qui a provoqué 18500 décès directs contre 10 décès de travailleurs de l’opérateur TEPCO. D’autre part, ils évoquent le manque de connaissances scientifiques des journalistes, qui n’ont pas su retranscrire correctement auprès du public les informations obtenues d’experts, en particulier les impacts sanitaires, les mesures de gestion d’urgence ou n’ont pas pu évaluer leur fiabilité. Les auteurs estiment que ces informations partielles voire erronées ont également pu véhiculer une mauvaise image de l’énergie nucléaire. Une des clés pour éviter cet effet d’amplification du risque, en plus de critères de sûreté plus exigeants sur les installations nucléaires, est selon Panteleev et al. de porter une attention particulière à l’amélioration des processus de communication entre les experts, les gouvernements, les médias et le public. Un soutien scientifique et technique aux processus communicationnels permettrait d’améliorer les processus décisionnels autant du point de vue du développement de l’énergie nucléaire dans son ensemble mais également de ceux relevant de la planification et la préparation aux modalités d’urgence.
MISE EN PERSPECTIVE AVEC LE BAROMETRE IRSN
Dans le contexte français, le Baromètre de perception des risques de l’IRSN 2019 observe que, malgré leur éloignement dans le temps, les accidents nucléaires de Tchernobyl et de Fukushima frappent toujours les esprits et restent en tête des événements catastrophiques les plus redoutés. Selon le Baromètre IRSN, le potentiel catastrophique de l’accident de Fukushima est toujours perçu comme étant très important pour les Français. Deux Français sur trois estiment que les retombées radioactives ont fait plus de 500 morts au Japon et 36% pensent qu’elles provoqueront dans le futur plus de 5000 morts (pour l’instant 11 cas sur 100000 ont été détectés sur une campagne de mesure de la préfecture de Fukushima, comparable à l’incidence sur quatre autres préfectures non touchées par les retombées radioactives[1]).
L’accident de Tchernobyl a drastiquement et durablement changé la perception des Français sur l’impact des installations nucléaires, donc des risques radiologiques.
Avant l’accident ukrainien, seulement trois Français sur dix estimaient que les sites nucléaires pouvaient avoir un impact négatif sur la santé ou sur l’environnement contre 60 % en 2018 à penser que « la radioactivité des centrales nucléaires provoquera des cancers » (contre 66 % en 2017). Plus de la moitié des personnes interrogées déclarent que ces sites peuvent « provoquer une contamination des nappes phréatiques » (contre 65 % en 2017) et environ un sur quatre que les produits agricoles aux alentours d’une centrale nucléaire sont « aussi bons qu’ailleurs » (contre 20 % en 2017).
Il pourra être intéressant dans le cadre du prochain Baromètre IRSN 2020 d’observer l’influence de la série télévisée « Tchernobyl » sortie en juin 2019, très médiatisée et unanimement saluée par la critique. Elle vient par ailleurs de remporter plusieurs Emmy Awards en septembre 2019 (la meilleure mini- série, meilleure réalisation, meilleur scénario et meilleurs acteurs/actrices dans une mini-série ou rôles secondaires).
[1] Sur les 300 476 enfants dépistés pour une échographie thyroïdienne, lors d’une première campagne de mesure sur la préfecture de Fukushima l’incidence annuelle du cancer de la thyroïde chez les enfants âgés de moins de 18 ans est de 11 pour 100 000. Entre 2011 et 2014, quatre campagnes de dépistage systématique du cancer de la thyroïde ont été mises en œuvre chez des enfants âgés de moins de 18 ans dans des préfectures non touchées par l’accident de Fukushima pour comparaison. Les données issues de ces études montrent que l’incidence annuelle estimée est comprise entre 23 et 130 pour 100 000.
En conclusion, ces données montrent qu’il n’y a pas de différence significative entre l’incidence annuelle observée dans la préfecture de Fukushima et celles estimées sur la base d’un dépistage systématique dans des préfectures non touchées par les retombées de l’accident de Fukushima. Les prochaines campagnes de dépistage permettront de suivre cette évolution (sur long terme, le temps de latence étant long pour le cancer de la thyroïde) afin de savoir si oui ou non les retombées radioactives de Fukushima ont provoqué un surplus de cancers de la thyroïde (Source IRSN)