Point de vue – Céline Kermisch

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Commentaire critique de la méthodologie du Baromètre

Publié en octobre 2018

S’il est extrêmement précieux de disposer d’un baromètre susceptible de livrer un instantané de la perception du risque en France en 2018 et de révéler les préoccupations récentes des Français, son intérêt est d’autant plus appréciable qu’il permet de comparer le positionnement des risques à celui des années antérieures.

Parmi les résultats mis en évidence, je suis particulièrement frappée par le fait que, quarante ans après, perdure encore le sentiment de manque de confiance et de crédibilité des Français à l’égard des autorités à propos des retombées radioactives en France de l’accident de Tchernobyl. Ce sentiment, largement justifié, montre à quel point l’impact d’une mauvaise communication peut s’avérer désastreux. Ce constat doit nous rendre plus vigilant que en matière de transparence de l’information.

Une des nouveautés de cette année réside dans la prise en compte de la perception du risque, de la confiance et de la crédibilité vis-à-vis d’un nouveau domaine, le cancer. Celui-ci s’impose comme présentant le risque perçu le plus élevé, suivi par le terrorisme, les pesticides et le tabagisme chez les jeunes. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que ces résultats sont à mettre en balance avec le fait que le domaine « cancer » constitue plutôt un méta-domaine qui en recouvre indirectement d’autres tels que les pesticides, le tabagisme ou les perturbateurs endocriniens par exemple.

Dans une perspective plus méthodologique, plusieurs pistes pourraient être envisagées afin d’affiner encore davantage les résultats obtenus.

On peut d’abord noter que baromètres actuels fournissent des résultats globaux, qui ne permettent pas de rendre compte de la diversité des perceptions au sein même de ce que l’on regroupe sous l’appellation de « public ». Pour nuancer les résultats, il pourrait être avantageux de distinguer certaines catégories de la population en fonction de leur situation géographique, de leur appartenance à une catégorie socioprofessionnelle ou de leur caractéristiques démographiques par exemple.

Ensuite, il serait intéressant de préciser si les termes du questionnaire ont été expliqués aux interviewés. Dans cette même perspective de clarification terminologique, une attention toute particulière à la notion de confiance s’impose. En effet, la littérature a mis en évidence que ce terme de « confiance » recouvre des concepts variables. Par exemple, s’inspirant de la nuance introduite par Niklas Luhmann, Michael Siegrist distingue le terme « trust » qui renvoie à la croyance en la fiabilité des individus, et le terme « confidence », qui évoque quant à lui la conviction qu’une situation est sous contrôle et que le niveau d’incertitude est réduit. Il serait enrichissant de préciser le concept mobilisé a priori dans cette étude et d’éventuellement creuser les nuances observées.

Par ailleurs, il serait aussi extrêmement fructueux d’approfondir la question du lien entre les trois dimensions étudiées dans le baromètre – risque perçu, confiance et crédibilité. La question du lien entre risque perçu et confiance est une problématique abordée de manière récurrente dans les études sur la perception des risques, mais les résultats ne sont pas toujours cohérents d’une étude à l’autre. Il serait dès lors appréciable d’essayer de cerner davantage la situation française. Par ailleurs, si la relation entre confiance et crédibilité s’impose intuitivement comme très forte, elle n’a pas fait – à ma connaissance – l’objet de travaux détaillés, ce qui justifie pleinement son analyse.

Enfin, il me semble fondamental d’attirer l’attention sur la différence entre les notions d’acceptabilité – implicitement éthique – et d’acceptation – implicitement sociale, et de souligner que c’est davantage l’acceptation sociale qui est ciblée dans la section « L’acceptabilité des installations ».

 

Biographie de l’auteur

Céline Kermisch est ingénieure mécanicienne et docteure en philosophie de l’Université Libre de Bruxelles (ULB). Elle est maître de conférences à l’Ecole polytechnique de Bruxelles, où elle assure le cours d’épistémologie des sciences et des techniques et celui d’éthique de l’ingénieur. Elle est également consultante en éthique des sciences et des technologies. Ses projets actuels portent sur les enjeux éthiques associés aux déchets radioactifs (projet de l’Organisme national des déchets radioactifs et des matières fissiles enrichies – Belgique) et sur la perception des risques (projet de l’Institut pour la Maîtrise Des Risques – France). Elle effectue enfin des missions d’expertise éthique, en particulier pour la Commission Européenne.