Point de vue – Samuel Rufat

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Le point de vue

Les études longitudinales sont devenues la pierre philosophale de la perception des risques, avec l’espoir de pouvoir détecter les effets de tel ou tel événement, mesurer l’efficacité de telle campagne de prévention, etc. À ce titre, il est tentant de déceler dans le Baromètre IRSN un « effet Fukushima », avec un sursaut des préoccupations pour le nucléaire en 2011, un « effet terrorisme » à partir de 2015, ou une montée des préoccupations environnementales ces dernières années. À l’inverse, les fluctuations des préoccupations pour les canicules ou les inondations semblent plus difficiles à rapporter à l’actualité. Et surtout, loin d’un « effet Lubrizol », les données de décembre 2019, soit peu de temps après l’incendie à Rouen, montrent au contraire une diminution très importante des préoccupations pour les installations chimiques, les transports de matières dangereuses ou même la pollution de l’air. Les réponses sont plus de 10 points de pourcentage en dessous de celles de décembre 2018.

Cet apparent paradoxe rappelle que le Baromètre IRSN n’est pas une étude longitudinale : même si les questions sont restées stables depuis parfois plus d’une vingtaine d’années, elles sont posées à des personnes différentes chaque année. Les déterminants des représentations des risques sont encore débattus, mais l’expérience préalable, l’exposition ou la distance aux sources de danger sont bien plus souvent significatifs que le genre, les professions ou les revenus. Les contrôles sur l’échantillon ne sont pas toujours bien adaptés aux connaissances actuelles. Cela veut dire que poser la même question à des personnes différentes la même année peut conduire à des différences plus importantes que celles constatées par le Baromètre IRSN d’une année sur l’autre. Il semble donc important de contrôler les résultats en posant la même année les mêmes questions à plusieurs groupes de personnes.

Ainsi, le dernier Baromètre sécurité (Odoxa, octobre 2019), sur un échantillon différent, ne montre pas non plus « d’effet Lubrizol », mais les préoccupations pour ces thématiques restent stables, alors que le Baromètre IRSN semble identifier une diminution globale des niveaux de risque exprimés. Même les contrastes apparemment très forts d’une année sur l’autre doivent donc être considérés avec prudence, d’autant plus que l’IRSN a changé d’institut de sondage en 2018 puis a mis à jour l’échantillon en 2019. Les personnes déclarant habiter à moins de 20 km d’une installation nucléaire sont surreprésentées dans le baromètre (8% dans l’échantillon contre 3% de la population en France) en raison des choix de l’institut de sondage. Alors que leurs réponses sont significativement différentes des autres sur le nucléaire sur plusieurs années, ce qui est en accord avec les résultats internationaux, ce n’est plus le cas des personnes résidant à proximité des installations autres que des centrales en 2019.

Le Baromètre IRSN est un bel outil et c’est une tâche ardue de le faire évoluer sans perdre la possibilité de comparer avec les résultats accumulés depuis une vingtaine d’années. Les taux de personnes qui ne savent pas ou ne répondent pas aux différentes questions restent toutefois plus faibles que dans d’autres enquêtes, ce qui devrait conduire à poursuivre la réflexion sur les façons de ne pas forcer de réponses. Mais surtout, il semble important de continuer à consolider la structuration de l’échantillon et de procéder à des questions de contrôle, par exemple en tirant au sort cinq questions à poser la même semaine à un tout autre échantillon dans une enquête omnibus. Les réponses pourraient servir de « témoin » pour valider ou non les tendances identifiées par le Baromètre IRSN d’une année sur l’autre.

 

L’auteur

Samuel Rufat est géographe, enseignant chercheur à l’Université de Cergy-Pontoise et membre de l’Institut Universitaire de France. Il a organisé en 2019 la première Conférence européenne sur les perceptions des risques et anime un programme de recherche européen sur les représentations des risques et les comportements d’adaptation en Europe.