Résumé du Baromètre 2016

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Le Baromètre IRSN 2016 de la perception des risques et de la sécurité par les Français enregistre une nouvelle fois les mouvements de l’opinion en France sur les questions relatives aux préoccupations sociales et environnementales, à l’expertise scientifique et technique, aux situations à risques, y compris celles découlant de l’usage civil du nucléaire. Trois tendances majeures se dégagent :

— la marque profonde laissée par les attentats terroristes de l’année 2015 dans la perception des Français et, plus modérément mais significativement, par les débats sur le changement climatique ;
— un regard assez confiant porté sur la science, sur les experts et sur les institutions scientifiques et techniques intervenant dans le nucléaire ;
— une image plutôt en retrait du nucléaire parmi les sources d’énergie et une inquiétude toujours forte liée aux accidents nucléaires de Tchernobyl et de Fukushima.

L’impact des événements majeurs de 2015

Les attentats terroristes que la France a connus en janvier et en novembre 2015 ont entraîné une forte montée du terrorisme dans la hiérarchie des préoccupations. Il convient de préciser ici que la passation de l’enquête s’est déroulée entre le 25 novembre et le 11 décembre 2015, soit deux à quatre semaines après les attentats de Paris du 13 novembre. L’impact des événements sur les résultats de l’enquête est particulièrement marqué. Cette augmentation brutale du niveau de préoccupation sur ce point s’inscrit après une année 2014 déjà en hausse, alors que l’enquête avait été menée avant les attentats de janvier 2015, comme l’indiquait déjà le précédent rapport du Baromètre IRSN.
Cette montée du terrorisme comme «le problème le plus préoccupant » dans les réponses à l’enquête a pour conséquence que, pour la première fois depuis 2004, le chômage ne ressort plus comme la préoccupation première des Français, laissant cette place au terrorisme. Les préoccupations en matière de chômage reculent de 6 points mais restent élevées : elles sont mentionnées par plus de deux personnes sur cinq. Cette édition du Baromètre IRSN montre que, de manière plus générale, les préoccupations économiques tendent à refluer en face du terrorisme : de même que le chômage, les conséquences de la crise financière ainsi que la misère et l’exclusion sont moins souvent mentionnées parmi les préoccupations.

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Cette montée à la première place de la préoccupation du terrorisme est également perceptible dans d’autres résultats de l’enquête : cela laisse à penser que les attentats conduiraient à relativiser certaines priorités. Ainsi, pour deux indicateurs plus spécifiques du Baromètre (quelles sont les mesures à prendre pour mieux rendre compte des résultats d’expertises ? dans la partie « Regards des Français sur l’expertise » ; quelles sont les mesures pour renforcer la sûreté des sites nucléaires ? dans la partie «Zoom sur le domaine nucléaire »), les modalités de réponse « prioritaire » ont nettement diminué en 2015, traduisant des réponses moins tranchées, plus relativisées. Cette diminution de la modalité de réponse « prioritaire », déjà en partie observée sur les enquêtes 2013 et 2014, est plus marquée en 2015. Il apparaît plausible que le contexte des attentats terroristes ait, parmi d’autres facteurs, contribué à cette évolution. Face à un enjeu de cette importance, l’enquête s’étant par ailleurs déroulée peu de temps après les attentats, les autres préoccupations semblent moins prioritaires, quel que soit le domaine où elles s’exercent. Une partie de la population semble ainsi réviser ses priorités, tous domaines confondus.
La conférence de Paris sur le climat (COP21) est l’autre sujet d’actualité qui marque les résultats de cette édition du Baromètre. Les préoccupations au sujet du réchauffement climatique augmentent sensiblement : près d’un Français sur deux mentionne ce problème parmi les plus préoccupants, en première ou en deuxième position. La tenue de la COP21 dans la période de la passation de l’enquête peut contribuer à expliquer cette montée des préoccupations au sujet du réchauffement climatique. Toujours dans le domaine de l’environnement, le recul des préoccupations en ce qui concerne la pollution de l’eau et les dommages liés aux catastrophes naturelles semble correspondre assez bien aux évolutions tendancielles qui peuvent être observées dans les faits pour ces secteurs : à travers l’amélioration de la qualité physicochimique des cours d’eau sur les dernières années et au vu de la diminution du nombre de catastrophes naturelles depuis 2014 que l’on peut recenser à travers les arrêtés pris par l’État1.

LE REGARD PORTÉ SUR LA SCIENCE ET L’EXPERTISE SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE

L’image de la science reste assez bonne et celle des experts scientifiques s’est sensiblement améliorée en 2015. Des attentes fortes en termes de transparence et de prudence sont exprimées au sujet du rôle des experts. Deux qualités doivent dominer dans cette vision des experts scientifiques : l’une, la compétence technique, qui tend toutefois à décliner ; l’autre, l’indépendance, qui tend à progresser. La bonne image des experts peut être appréciée également à travers l’idée que les décideurs politiques devraient s’appuyer davantage sur les experts scienti ques.
La moitié des Français se déclare prête à consacrer du temps pour participer à des réunions d’information et de concertation sur les modes de gestion des installations à risques. Par ailleurs, l’idée de structures pluralistes réunissant des experts scientifiques, des décideurs politiques, des industriels, des associations et des citoyens est largement soutenue : près de neuf Français sur dix s’y déclarent favorables. Concernant ces deux questions, il convient toutefois de noter que l’adhésion des Français est moins forte qu’il y a quelques années. Il est possible que les Français deviennent plus sélectifs quant aux sujets qui peuvent les mobiliser : la participation citoyenne est fortement conditionnée par l’intérêt et la motivation pour le sujet, comme le montre le Baromètre de la concertation réalisé par Harris Interactive pour ResPublica2.
Les Français se déclarent très favorables3 à la diffusion des expertises, même s’ils en conçoivent également des limites. Le principe même d’informer le public reçoit l’approbation d’une majorité de Français. Deux priorités se dégagent nettement : rendre publics les rapports d’expertise et s’engager à répondre à toutes les questions posées par les associations et par les citoyens. La diffusion des rapports d’expertise apparaît utile aux Français, en particulier quand il s’agit d’installations nucléaires et en cas de défaillances. Ils considèrent cependant avec prudence la diffusion des résultats des expertises scientifiques, et certains motifs leur semblent justifiés pour limiter ou empêcher la diffusion d’une expertise scientifique : la lutte contre le terrorisme, la protection du secret défense, l’incertitude scientifique des résultats et l’attente de la décision à prendre.

LA PERCEPTION DES SITUATIONS À RISQUES

La perception des risques pour les 34 situations étudiées4 est assez peu modifiée, sauf pour le terrorisme. Parmi les situations proposées, le terrorisme est aujourd’hui celle qui présente le plus haut niveau de risque perçu : plus de quatre Français sur cinq estiment que les risques sont élevés ou très élevés. La canicule et les OGM sont, après le terrorisme, les situations dont le risque perçu augmente le plus, les accidents domestiques et les inondations sont celles où il diminue le plus. Mais c’est surtout sur les critères de la confiance et de la crédibilité (vérité des informations communiquées) que les perceptions ont évolué en 2015. La confiance et la crédibilité s’améliorent en effet pour beaucoup de situations. La confiance est inchangée ou avec une évolution non significative dans 13 situations sur 34, elle augmente dans toutes les autres. La perception sur la vérité des informations communiquées est stable dans 12 situations et s’améliore dans 22 situations. Plus précisément, en 2015, deux mouvements peuvent être observés : d’un côté, les risques collectifs non industriels tendent à être perçus comme moins élevés (sauf, bien sûr, pour le terrorisme) ; de l’autre, la confiance dans les autorités s’est nettement améliorée pour ce qui concerne la plupart des risques technologiques attachés à des sites et à des actions identifiables.
L’augmentation des indicateurs relatifs aux deux aspects confiance et de vérité pour un grand nombre de situations conduit à rechercher une interprétation globale. Une hypothèse qui apparaît plausible (développée dans la partie « Les Français face à 34 situations à risques ») est celle d’un «réflexe légitimiste». L’interprétation en est que, face au terrorisme, la population rechercherait davantage la protection de l’État et lui accorderait en échange davantage sa confiance. De la même façon, le choc des attentats terroristes entraînerait un regard plus bienveillant sur la communication publique.
Il convient toutefois de remarquer que la hausse concomitante de la confiance et de la crédibilité (vérité des informations communiquées) se rapporte surtout à des situations ayant trait à la santé, à l’univers médical, à la sphère domestique et à l’univers de vie quotidienne. L’hypothèse du « réflexe légitimiste » pourrait de ce fait être précisée et orientée vers ces situations : le caractère hors norme des attentats terroristes conduirait à relativiser des situations qui ressortent davantage du quotidien et à regarder avec plus de compréhension les questions de confiance et de crédibilité de l’information. Enfin, dans l’hypothèse où les résultats de l’enquête, réalisée juste après les attentats de novembre 2015, traduisent effectivement un « réflexe légitimiste » il conviendra de s’interroger sur sa persistance lorsque les faits qui en sont à l’origine s’estomperont avec le temps. Ce point sera pris en compte pour l’élaboration du prochain Baromètre IRSN 2017.

L’IMAGE DU NUCLÉAIRE, DE LA SÛRETÉ ET DES ACTEURS DE CE DOMAINE

Aux yeux des Français, les centrales nucléaires demeurent les installations industrielles les plus susceptibles de provoquer un accident grave ou une catastrophe : plus de neuf Français sur dix estiment qu’un accident dans une centrale nucléaire aurait des conséquences très graves, et la majorité d’entre eux ne souhaiterait pas vivre près d’une centrale nucléaire. Les installations nucléaires font aussi redouter des risques chroniques, soit sur la santé, soit sur l’environnement : doutes sur le fait qu’à proximité des centrales nucléaires les habitants soient en aussi bonne santé et les produits agricoles aussi bons, recul également de l’idée selon laquelle « autour des centrales nucléaires, les habitants sont en aussi bonne santé qu’ailleurs ». Ainsi, depuis 1982, la proportion de Français qui accepteraient de vivre près d’une centrale nucléaire a diminué de moitié5 (voir
graphique 2).

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D’UNE CENTRALE NUCLÉAIRE
D’UNE INSTALLATION CHIMIQUE IMPORTANTE D’UN SITE DE STOCKAGE DE DÉCHETS RADIOACTIFS D’UN SITE DE STOCKAGE DE DÉCHETS CHIMIQUES

RÉSULTATS SAILLANTS

Les arguments principaux évoqués au sujet de la place du nucléaire dans le mix énergétique restent les mêmes : l’indépendance énergétique du côté de l’adhésion, les accidents de Tchernobyl et de Fukushima du côté de l’opposition6. L’argument économique en faveur du nucléaire perd de sa force (baisse de 7 points en deux ans), dans la mesure où l’avantage en termes de coût du nucléaire est de plus en plus contesté et où la baisse relative du prix des hydrocarbures conduit à relativiser cet argument. Les énergies renouvelables sont les énergies préférées des Français, et l’énergie éolienne supplante maintenant à leurs yeux l’énergie nucléaire sur les critères économiques.
L’appréciation portée sur la sûreté nucléaire7 apparaît plus favorable que pour les installations nucléaires considérées en général8. En effet, les Français expriment cette année une plus grande confiance dans la sûreté des centrales, cette tendance pouvant être interprétée comme une perception de l’impact positif des évaluations complémentaires de sûreté (ECS). Dans ce contexte, trois priorités ressortent pour améliorer la sûreté des installations nucléaires : multiplier les inspections, prendre davantage en compte le facteur humain et développer la recherche pour la sûreté des réacteurs. Enfin, la majorité de la population française ne perçoit pas d’évolution des risques liés aux installations nucléaires, et cette proportion est supérieure à 2014.
Il convient toutefois de remarquer que, dans la minorité qui perçoit un changement sur ce sujet, l’expression du changement est orientée vers une hausse perçue des risques.
Enfin, l’image des acteurs et organismes intervenant du nucléaire tend à s’améliorer. Sur le critère de la compétence, le CNRS, l’IRSN, le CEA et les organismes d’experts internationaux sont perçus comme les acteurs les plus compétents. En 2015, plusieurs acteurs voient leur compétence mieux évaluée qu’en 2014 : les organismes d’experts internationaux (+ 5 points), l’IRSN (+ 5), le HCTISN (+ 5), l’Académie des sciences (+ 4), Areva (+ 5), le gouvernement (+ 4), l’OPECST (+ 4), les organismes de contrôle de l’État (+ 4) et EDF (+ 2).
Sur le critère de la crédibilité (qui renvoie au sentiment que les sources d’informations disent la vérité), même si le CNRS arrive toujours en tête du classement, plusieurs acteurs et organismes intervenant dans le nucléaire voient leur score augmenter en 2015 : l’IRSN (+ 6), l’Andra (+ 6), les organismes de contrôle de l’État (+ 5), EDF (+ 5), les médecins (+ 3), Areva (+ 4), le gouvernement (+ 3) et les organismes d’experts internationaux (+ 3).

LA FORCE PERSISTANTE DES INQUIÉTUDES LIÉES AUX ACCIDENTS DE TCHERNOBYL ET DE FUKUSHIMA

Trente après l’accident de Tchernobyl, son impact dans l’esprit des populations reste très fort, comme le montrent plusieurs questions de l’enquête. Trois Français sur quatre estiment qu’on ne dit pas la vérité au sujet des retombées radioactives en France de l’accident, et ils sont un peu moins des deux tiers à ne pas faire confiance aux autorités sur ce sujet. Enfin, près de la moitié d’entre eux juge que les risques liés aux retombées radioactives en France de cet accident sont élevés ou très élevés. Ces perceptions demeurent probablement marquées par le contexte de l’accident en 1986 et par les défaillances de la communication en France sur ce sujet à l’époque. Il convient cependant de remarquer que, par la suite, une large information a été donnée et mise à jour, ce qui conduit à s’interroger sur le jugement exprimé par les Français sur cette question de l’information : porte-t-il sur la situation actuelle ou sur la situation passée ? En l’état actuel, le Baromètre ne permet pas de trancher sur le sujet.
Quant à l’accident de Fukushima, il continue d’apparaître comme l’événement catastrophique le plus effrayant9. Son impact rejaillit sur la vision du nucléaire en France : près de deux Français sur trois craignent qu’un accident de même ampleur que Fukushima se produise dans une centrale nucléaire dans notre pays (voir graphique 3). En arrière-plan, le potentiel catastrophique de l’accident de Fukushima semble élevé aux yeux des Français : plus de la moitié d’entre eux estime que, dans les années à venir, les retombées radioactives de l’accident de Fukushima feront au Japon plus de 5 000 morts. Enfin, plus de cinq ans après l’accident de Fukushima, la majorité des Français continue de penser que la vérité sur les conséquences en France de cet accident leur reste cachée. Il est possible que le manque de transparence au moment de l’accident de Tchernobyl, qui a généré chez les Français le sentiment que l’on ne disait pas la vérité sur les retombées radioactives en France de l’accident, ait encore un effet, 30 ans après, sur la perception de la communication relative à l’accident de Fukushima. Les opinions exprimées semblent toutefois plus critiques au sujet de Tchernobyl, où les manquements de la communication en France en 1986 ont été patents, que de Fukushima, où les informations ont été livrées par les autorités françaises sans restriction.

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Notes:

1 Comptage par les auteurs des arrêtés relatifs à la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, d’après le site http://www.legifrance.gouv.fr
2 Voir la page Web de ce Baromètre de la concertation : http://www.respublica-conseil.fr/barometre-de-la-concertation-de-la-decision-publique-edition-2014/
3 Somme des opinions « prioritaire » et « important mais pas prioritaire » (dans la partie « Regards des Français sur l’expertise »).
4 Selon les trois aspects étudiés par le Baromètre: l’importance perçue du risque, la confiance accordée aux autorités et la vérité des informations communiquées sur ces risques.
5 Il convient de noter, dans cette tendance globale à la baisse, que cette proportion a augmenté significativement en 2012 pour se stabiliser autour de 18-20 %. Cette remontée pourrait être imputée à un effet de la campagne présidentielle de 2011-2012, si l’on suit les analyses présentées par di érents chercheurs en science politique.
6 Précisons toutefois que ce dernier argument (les exemples de Tchernobyl et de Fukushima) a décliné au cours des dernières années et retrouve maintenant le niveau d’adhésion qu’il avait avant l’accident de Fukushima.
7 Qui ressort notamment de la réponse à la question «Toutes les précautions sont prises pour assurer un très haut niveau de sûreté dans les centrales nucléaires françaises »dans la partie « Zoom sur le domaine nucléaire » (+ 7 points, atteignant un niveau de 46 %, soit près de la moitié).
8 Appréciation qui résulte des réponses à plusieurs questions globales ayant trait aux installations (dans les parties « Les préoccupations actuelles des Français », « Les Français face à 34 situations à risques » et « Zoom sur le domaine nucléaire »).
9 Selon les termes de la question de la section « La perception des deux accidents nucléaires majeurs : Tchernobyl (1986) et Fukushima (2011) » dans la partie « Zoom sur le domaine nucléaire ».