Point de vue – Daniel Boy

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Par Daniel Boy, directeur de recherche émérite au CEVIPOF

Dans quelle mesure les perceptions du public en matière de risque sont-elles liées aux évolutions supposées « objectives » des différents risques ?

À travers trois questions centrées sur la problématique du risque, le « Baromètre IRSN sur la perception des risques et de la sécurité » permet de s’interroger sur un problème psychosociologique classique, mais toujours intrigant : dans quelle mesure les perceptions du public en matière de risque sont-elles liées aux évolutions supposées « objectives » des différents risques ? Trois niveaux de risques perçus sont testés dans cette enquête : les risques dans leur généralité[1], les risques dans le domaine de l’environnement[2], enfin, les risques industriels ou technologiques[3].

Au niveau le plus général, deux risques sont moins fréquemment perçus comme préoccupants : le risque de terrorisme et celui du chômage. Pour ce qui est du terrorisme, il n’y a évidemment pas de mesure objective de niveau. Mais les préoccupations ont atteint leur maximum dans les années où les attentats ont été les plus meurtriers (2015, Charlie et le Bataclan, 2016, Nice), les mois précédant le terrain de l’enquête n’ayant enregistré, si l’on peut dire, « que » l’attentat de Carcassonne (un décès et cinq blessés graves). Quant au chômage, les statistiques indiquent qu’au quatrième trimestre 2018, son taux est à son plus bas niveau depuis début 2009. Deux risques, à l’inverse, sont plus fréquemment perçus comme préoccupants : l’insécurité et l’environnement. Pour ce qui est de l’insécurité il se peut que le spectacle abondamment médiatisé de multiples manifestations accompagnées de violences ait accru le sentiment d’insécurité. On peut aussi penser que la question des violences faites aux femmes (affaire Weinstein) et aux enfants (pédophilie dans l’église) ait accru le sentiment d’insécurité. Du reste, le ministère de l’Intérieur indique que « Les plaintes pour violences sexuelles sont celles qui enregistrent la plus forte augmentation, soit 19% de plus qu’en 2017″[4]. Quant à l’environnement, il est cette fois certain que les diverses alertes lancées par les scientifiques au cours de l’année 2018 ont contribué à accroître le sentiment de risque dans le public.

Deuxième niveau de mesure, celui des risques environnementaux. Ici deux problèmes sont plus souvent jugés comme préoccupants : le réchauffement climatique et la disparition d’espèces animales. Ce sont précisément les deux enjeux qui ont fait l’objet d’alertes scientifiques ces deux dernières années. Pour ce qui concerne le réchauffement climatique, les données de l’IRSN, confirmées par le baromètre annuel de l’ADEME[5], démontrent que cet enjeu est régulièrement privilégié par le public dans les périodes de fortes mobilisations médiatiques et politiques : cela a été notamment le cas dans les années 2006-2007 où la campagne électorale présidentielle avait été marquée par les initiatives d’une coalition d’associations environnementales (Alliance pour la planète) puis, par l’organisation du Grenelle de l’Environnement. On note aussi une préoccupation plus marquée l’année de la COP21, elle aussi fortement médiatisée. La disparition d’espèces animales, objet aussi d’alertes scientifiques récentes, préoccupe davantage le public et cette tendance est, là encore, confirmée par les résultats de l’enquête ADEME.

Troisième niveau d’analyse, celui des activités industrielles ou technologiques : ici on note une évolution sensible à la baisse du risque nucléaire (centrales nucléaires et déchets radioactifs). Cette relative diminution, qui nécessitera une confirmation dans une enquête ultérieure, tient peut-être au fait que, cette année le thème nucléaire n’a pas été au premier rang de l’actualité.

Au total, il y a donc bien, sinon de strictes correspondances, du moins des relations assez cohérentes entre ce que le public perçoit à travers le prisme des médias comme plus ou moins « risqué » et les réponses recueillies dans le baromètre de l’IRSN.

[1] En France, parmi les sujets actuels suivants, lequel est pour vous le plus préoccupant ?

[2] « Je vais vous citer un certain nombre de problèmes d’environnement. Quel est celui qui vous semble le plus préoccupant ? »

[3] Parmi les diverses activités industrielles ou technologiques suivantes, quelles sont celles qui selon vous, risquent le plus de provoquer un accident grave ou une catastrophe en France ?

[4] https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Insecurite-et-delinquance-en-2018-premier-bilan-statistique

[5] https://www.ademe.fr/representations-sociales-changement-climatique-19-eme-vague

 

Daniel Boy est directeur de recherche émérite au CEVIPOF. Ses recherches se sont développées dans trois domaines : la sociologie électorale, l’écologie politique en France et en Europe, les relations entre science, technique et société. Il a inauguré notre rubrique « Regard croisé » en juillet 2015 avec un premier entretien.

Retrouver l’intégralité du texte de Daniel Boy dans Les essentiels du Baromètre IRSN 2019, page 23.